« Avec moi, c’est un amour ! On ne l’entend pas. »
« Je l’ai couché sans aucun problème, moi ! »
« Il a mangé sans aucune difficulté, il n’y a qu’avec toi qu’il fait le difficile ».
Que celle qui n’a jamais entendu ces phrases horripilantes (et leurs dérivés en tous genres) dans la bouche de sa mère, sa belle mère, ou sa nounou lève la main… Chapeau, vous avez du bol !
Situation : tu galères avec ton gosse (exemple : tu mets systématique 50 minutes à l’endormir en le berçant pour qu’il fasse des pauvre micro siestes de 20 minutes, il se réveille 4 fois par nuit en hurlant, tu as le dos défoncé et quand tu te réveilles le matin tu ne sais même plus si c’est hier ou aujourd’hui), tu es au bout du rollmop, alors on te propose gentiment d’aller te détendre (exemple : aller faire les courses à Carrefour SANS le greffon, oh joie ! – Ok, c’est moisi comme détente… aller faire du shopping un après-midi avec tes copines, oh joie !) , tu culpabilises un peu et tu t’inquiètes un max (pourvu qu’elle réussisse à l’endormir…) et quand tu rentres en courant pour le récupérer (mon enfant, vite !!!), tes sacs de shopping remplis de 8kg de fringues de bébé et d’un pauvre foulard pour toi volant au vent, on (mamie, papi, tata, copine..) t’annonce que tout s’est merveilleusement bien passé sans toi, d’ailleurs tout s’est passé bien mieux qu’avec toi (exemple : l’enfant a réclamé le lit et s’est endormi tout seul dedans sans casser le dos de personne et à dormi 3h d’affilé).
Conclusion logique : tu crains, comme mère.
Généralement, le récit de la journée de ta progéniture fait par sa baby-sitter d’un jour inclut des petits coups de massue commentaires du type « C’est incroyable, dès que tu es là elle devient infernale ! », « C’est parce qu’avec moi, il sait que ça ne marche pas… », « Moi, je ne cède pas, elle a compris tout de suite », « Il sent que je suis détendue, moi » ou autre variation autour du thème « Avec moi, ça va tout seul, prend en de la graine ».
Rien de tel pour booster ta confiance de mère ! Tu rentres de ton après-midi détente ruinée (rapport aux 8 kg de fringues pas en solde), crevée (rapport au 10 kilomètres parcouru dans les allées du centre commercial – la prochaine fois tu feras une sieste plutôt, malheureuse !) et convaincue d’être encore plus nulle que ce que tu pensais déjà.
En fait, c’est tout l’inverse !
Ce qui explique, en grande partie, la différence de comportement de nos bébés et enfants quand ils sont en dehors de notre présence, c’est la théorie de l’attachement, qui a été formalisée par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby en 1978 (ça date pas d’hier, mais bizarrement l’information circule mal). Je vais essayer d’en synthétiser l’essence (et je vous assure que ce n’est pas barbant comme le formalisme de ma phrase précédente peut le laisser penser).
Théorie de l’attachement et figure d’attachement principale
Le principe de base est qu’un jeune enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue. Cette personne est la figure d’attachement principale de l’enfant ; c’est celle qui s’occupe et prend soin de lui de façon privilégiée d’une façon stable au moins plusieurs mois durant la période qui va de l’âge de six mois environ jusqu’à deux ans. La figure d’attachement principale nourrit le sentiment de sécurité intérieure de l’enfant, par sa constance à être présente, à apporter bien-être, réconfort, repère, soins divers, tendresse, moments partagés, et à répondre à ses besoins. Plus la figure d’attachement nourrit ce lien, plus elle remplit le réservoir affectif de l’enfant… plus se développent ses compétences émotionnelles, sociales et intellectuelles.
Malgré l’implication de plus en plus grande des papas, la figure d’attachement principale reste souvent la maman ; d’après une étude publiée par le ministère des affaires sociales, en 2015 les femmes consacrent en moyenne 1h33 minutes par jour à s’occuper de leurs enfants contre 44 minutes pour les hommes (soit le double), sachant que la proportion du temps apporté aux soins des enfants est de 53 minutes pour les femmes contre 20 minutes pour les hommes (soit presque 2/3 – 1/3).
L’enfant peut bien évidemment avoir plusieurs figures d’attachement (on ne peut pas être trop à prendre soin d’un enfant!) mais il y aura systématique une figure d’attachement principale qui sera hiérarchiquement au-dessus des autres et vers laquelle l’enfant se tournera en priorité. Dans le couple les deux parents sont souvent, aujourdhui, des figures d’attachement mais l’un des deux est la figure principale, selon qui s’occupe de l’enfant le plus souvent et avec le plus de constance.
Après deux ans, l’enfant devient capable d’utiliser sa ou ses figures d’attachement comme base de sécurité à partir de laquelle il va explorer le monde ; la théorie de l’attachement sous-tend donc l’idée que pour pouvoir devenir autonome et se séparer de façon saine et sereine, un enfant doit déjà avoir pu s’attacher solidement. . Ce n’est que lorsque les besoins d’attachements sont satisfaits que le jeune enfant peut s’éloigner en toute sécurité de sa figure d’attachement pour explorer le monde qui l’entoure. D’où l’idée que le maternage proximal, la réponse immédiate aux pleurs et le refus de la séparation précoce de son enfant dans ses deux premières années, loin d’entraver la future autonomie de l’enfant, l’y prépare de façon optimale :)
Comportement avec la figure d’attachement
C’est un réflexe archaïque que possèdent tous les mammifères : ne PAS exprimer sa détresse en milieu hostile ou étranger, sous peine de se rendre vulnérable. Les bébés et les jeunes enfants conservent ce réflexe archaïque : en dehors de leur(s) figure(s) d’attachement, ils n’osent pas exprimer pleinement leur stress, leur tristesse, leur détresse.
Ainsi, au cours d’une journée de garde (à la crèche, chez mamie, la nounou etc.), l’enfant accumule des tensions dues à tout ce qu’il vit dans la journée (découvertes, apprentissages qui sont très riches à leur âge, déception, frustration diverses, fatigue, manque des parents, grandes joies, anicroches avec d’autres enfants, stimulations intenses etc…) qu’il ne s’autorise à exprimer qu’en présence de sa figure d’attachement principale, celle qui lui garantit le maximum de sécurité. Il n’y a que sa figure d’attachement pour continuer à l’aimer inconditionnellement alors qu’il pleure, qu’il tempête, qu’il crie, qu’il se roule par terre, qu’il devient littéralement infernal… qu’il se décharge.
Généralement, cela se traduit par des explosions sur des toutes petites choses qui paraissent anodines (chez nous, aller dans la poussette à la sortie de la crèche, patienter quelques minutes pour le dîner…) ou des pleurs sans raison apparentés… en fait, ce ne sont que des déclencheurs, des prétextes pour ouvrir la soupape de la cocotte minute. Cela me rappelle un peu les pleurs de décharge du soir du nourrisson. Dans ces moments là, en tant que parent, il faut savoir lâcher prise et oublier le prétexte déclencheur et recharger à tous prix le réservoir d’amour par des moments de tendresse et d’attention exclusive. C’est difficile car quand nos enfants se comportent « mal » on est tentés de penser à redresser la barre, à sévir… Ou alors on s’éloigne, on coupe le lien parce qu’on est blessé ou fâché alors que c’est tout l’inverse dont l’enfant à besoin. Un gros calin, un jeu, de l’écoute, le serrer dans nos bras… Voilà ce dont notre enfant à vraiment besoin dans ces moments la.
Même si l’enfant fini par considérer, par exemple, sa nounou ou sa grand-mère comme des figures d’attachements car elles prennent soin de lui régulièrement, il y aura toujours ce phénomène de décharge (à plus petite échelle, certainement) au moment des retrouvailles avec la maman, figure d’attachement principale. On le voit également dans les couples, notamment lorsque les papas s’occupent moins ou peu des enfants ; le jour où ils le font en l’absence de la maman, tout va comme sur des roulettes. Dur pour la maman, d’entendre « avec moi ça va tout seul ! » dans la bouche de son mari.
Ce n’est pas facile à vivre, cette impression que notre enfant nous garde le pire et donne le meilleur aux autres ; mais c’est un témoignage de son sentiment de sécurité avec nous, alors prenons le ainsi pour supporter.
PS : un article à faire lire à la prochaine personne qui va s’occuper de votre loulou pendant quelques heures ;)